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1995

 
Jean-Paul CAILLOUX
Interview “Impertinent”


Avant de répondre à vos questions, je tiens à préciser que les positions que je vais prendre n’engagent que moi et ne sont pas nécessairement représentatives de celles de l’ensemble du Corps Professoral, même si un certain nombre de mes collègues partagent mes vues sur les problèmes que nous allons aborder.

Pensez-vous que le projet MERCURE et en particulier l’association avec d’autres Ecoles soit profitable à l’ESSEC ?

Voilà une bonne question ! … Elle me permet d’entrée de souligner une autre manière d’approcher les problèmes.

Qu’est-ce que Mercure aujourd’hui ?

Une annonce, des perspectives et un partenariat. L’annonce a été particulièrement réussie -- c’est important : j’aime la manière dont on parle de l’ESSEC dans la presse depuis quelque temps qui change avec le temps du silence ou des articles vengeurs.
On s’émeut en interne -- et notamment vous les étudiants -- du partenariat. Soyons direct: l’ESC Nantes serait “indigne” de nous … Ce n’est surtout pas la bonne manière de prendre le problème ! MERCURE (indépendamment de son aspect “politique” qui n’est pas négligeable) peut être une source d’opportunités considérables.
La vraie question doit être : que va-t-on faire de MERCURE ? Si MERCURE ne reste pas qu’une annonce, si on donne un vrai contenu à MERCURE ( et rien ne laisse penser aujourd’hui qu’il en sera autrement), si nous nous investissons dans MERCURE, nous pouvons en tirer un bénéfice majeur.
En clair, ou bien MERCURE débouchera sur quelques initiatives pitoyables, et ce sera un projet pitoyable. Ou bien nous sortirons des “produits” excellents avec MERCURE et ce sera l’ESSEC qui, fidèle à sa culture d’innovation, deviendra leader sur un terrain majeur dans les années qui viennent … alors franchement, le problème du partenariat …! Fixer sur lui sans avancer sur les contenus, sur ce qu’on va faire réellement, sur qui va faire, avec quels moyens …… est la plus mauvaise approche que l’on puisse avoir.

Peut-on supprimer des Programmes (MBA, Mastère) s’ils ne sont pas efficaces ?
Que veut dire efficace ? Pour moi, deux situations sont possibles :
- Inefficace -- dans ce cas, le mot serait mal choisi -- peut vouloir dire en dessous du niveau que l’on peut attendre du “label ESSEC”… là, pas de discussion: un tel Programme, s’il existait, devrait disparaître.
- Inefficace peut aussi vouloir dire “non rentable” … alors de deux choses l’une: où ce Programme présente un intérêt “stratégique” ou “politique” majeur et le Groupe doit faire l’effort de le soutenir; ou ce n’est pas le cas et il doit disparaître … loi du marché!

On parle de taille critique et de notoriété internationale de l’ESSEC ? Pensez vous que le défi de l’internationalisation est un pari nécessaire et réalisable ?
Pari nécessaire, c’est évident. Ou nous avons une dimension internationale ou nous avons une dimension régionale. Avoir une dimension régionale est tout à fait intéressant et les Ecoles qui ont cette vocation peuvent faire un travailutile, de qualité et enthousiasmant. Je ne pense pas, cependant, que l’ESSEC ait vocation à être l’Ecole Supérieure des Sciences Economiques de Cergy !
Maintenant, la question de l’international n’est pas simple. Toutes les Ecoles s’en prévalent. Il existe même une sorte de marché de l’international académique (avec pseudos sommités et pseudos grandes universités étrangères).
L’ESSEC sera vraiment internationale lorsqu’un très bon étudiant américain, danois ou australien hésitera très sérieusement entre l’une des cinq plus grandes universités américaines et deux ou trois établissements européens dont l’ESSEC…… lorsqu’ un Professeur suédois ou américain de premier plan aura le même dilemme.
Or réussir cette internationalisation là est difficle. Il ne suffit pas d’envoyer des étudiants à l’étranger, de faire des cours en anglais, d’avoir des Professeurs étrangers pour être international.
Cela demande une réflexion sur le contenu de notre cursus, sur son adaptation aux demandes des étudiants étrangers, notamment dans son format (à cet égard, le “MBA Luxe” est une belle opportunité), sur les rémunérations que l’on peut proposer aux Professeurs, sur la souplesse de l’organisation de leur service …
Cela demande d’abord une notoriété internationale. Celle-ci passe par trois voies :
- les Professeurs qui par leurs travaux académiques feront mieux connaître encore l’ESSEC dans l’univers académique international; nombreux sont mes collègues qui s’y emploient avec succès et énergie !
- les anciens … si des ESSEC réussissent aux Etats Unis, c’est aussi l’ESSEC qui en tirera les bénéfices;
- la qualité de nos entreprises partenaires qui, lorsqu’elles ont une grande notoriété internationale, peuvent porter notre propre notoriété : c’est là encore, l’un des aspects positifs du “MBA Luxe”.
L’ESSEC doit encore travailler. Cela demande une volonté, des moyens, et une véritable gestion de nos forces, notamment pour la ressource professorale.

Comment être assuré que le MBA Luxe sera un succès et contribuera au rayonnement de l’ESSEC ? Plus généralement, est-ce que le lancement d’autres programmes profite à l’ESSEC et valorise le Label ESSEC ?
Le succès du MBA Luxe, je le souhaite ! Il a de très nombreux atouts pour réussir. Nous venons de voir qu’il s’inscrivait parfaitement dans la démarche d’internationalisation de l’ESSEC (où il a sans doute, de ce point de vue, plus d’avantages que le Cursus ESSEC même). Quant à sa conformité au Label ESSEC ? le fait que sa conception et sa direction soient confiées à Elyette ROUX, Professeur permanent à l’ESSEC dont tout le monde, et pas seulement à Paris, connaît l’exigence et l’excellence me suffisent.
Sur le lancement de Programmes, là encore, la réponse ne doit pas être une réponse de principe. Dans “Groupe ESSEC”, il y a Groupe et il y a ESSEC. Un Groupe doit vivre, créer, innover. Il est dans la logique du Groupe de lancer de nouveaux projets. Mais dans Groupe ESSEC, il y a aussi ESSEC. ESSEC signifie excellence. La seule question est donc de veiller à ce que ces nouveaux Programmes soient au niveau d’exigence de l’ESSEC. Nous avons créé le CAGE pour en avoir la garantie. Le fait que ces Programmes sortent du coeur de l’ESSEC doit en être une autre.
Reste une difficulté. Le Groupe ESSEC réunit des réalités très différentes : ESSEC IMD, EPSCI, ESSEC … les niveaux sont différents, même si l’exigence d’excellence doit être la même à chacun de ces niveaux. Cela implique d’éviter les amalgames. Avoir suivi un module de 9 jours à l’ESSEC IMD ne doit pas autoriser à dire “J’ai fait l’ESSEC” !
Mais cette question est un problème d’identification de chacun des programmes ; c’est au fond une question de communication. Elle n’a rien à voir avec une remise en cause de la création de programmes nouveaux dès lors que les garanties de qualité que j’ai évoquées existent.

Pensez vous que l’augmentation des promos de l’ESSEC est dangereuse au moment où les effectifs des prepas baissent ? Que pensez-vous du niveau où on va chercher les étudiants ?
L’ESSEC tire aussi sa force de son réseau. Des promotions réduites en valeur relative c’est, à terme, une perte de puissance de l’ESSEC (qui souffre déjà, pour des raisons historiques, d’un déficit dans ce domaine).
Où est le problème ? Le problème n’est pas celui du nombre d’étudiants mais de leur qualité. Le nombre d’étudiants en prépas diminue. Certes. La seule question qui m’importe est la suivante : les étudiants qui abandonnent les prépas sont-ils les meilleurs ou les moins bons ? On va poser qu’il ne s’agit pas des meilleurs. Moi je veux que nous prenions les meilleurs des meilleurs. En gros, nous nous partageons avec HEC les 800 meilleurs élèves de prépas. Qu’ils soient les meilleurs de 10 000 ou de 20 000 ne change pas grande chose si les 10 000 de différence sont les moins bons. Avançons plutôt sur la partage des 800 premiers !
Quant aux AST, on ne dira jamais assez combien ils apportent à l’ESSEC. Certes nous devons exiger que leur formation initiale soit la meilleure, et nous devons être inflexibles sur cette exigence. Il en est de même pour les étudiants étrangers.
Mais soyons sérieux : comment espérer accueillir un nombre significatif d’étudiants étrangers si nous réduisons la part des AST ? Peut-on me démontrer que les AST sont de moins bons ESSEC que les “concours” ? Là encore, il faut une exigence de qualité réelle, concrète, vérifiée … mais pas de pétition de principe !

Que pensez-vous de la politique de recrutement des Professeurs ? Etre Professeur à l’ESSEC est-ce difficile ?
Voilà une autre bonne question ! Qu’est-ce qu’un bon Prof à l’ESSEC ou pour l’ESSEC ? Je vais vous en faire un portrait idéal. Il fait de la recherche, beaucoup de recherche … participe à des Colloques internationaux, publie… beaucoup … il fait des cours, de très bon cours, très pédagogiquement travaillés … il élabore des outils pédagogiques … il est disponible pour les élèves, reçoit ses pupilles, dirige des UV de recherche, oriente et corrige des rapports de stages, reçoit des élèves qui ont des états d’âme ou tout simplement des questions … il participe à la vie de l’école, dirige une chaire, un programme, un cursus, un département ou une filière … il fait du conseil de façon significative … accessoirement il n’est pas payé très cher et s’en contente … en plus il doit être de bonne humeur, faire du sport et, s’il a le temps, dormir un peu.
Sérieusement -- même si ce que je viens de décrire correspond à nos obligations statutaires -- les Professeurs à l’ESSEC sont face à une contradiction apparente. Ils doivent à la fois investir pédagogiquement en interne et “rayonner” notamment par la recherche en externe.
Cette contradiction se règle par 3 idées simples :
- tout professeur est à la fois chercheur, conseil et pédagogue. Je m’inscris en faux contre l’idée qu’un professeur peut être “bon dans l’amphi” sans faire de recherche. Le “beau parleur” n’est pas un bon Professeur … pas longtemps … pas avec un public de votre niveau … de la même manière qu’un chercheur, dans certaines dimensions de sa recherche, se nourrit de sa formulation pédagogique … quant au conseil, il est à la fois résultat et source de l’ensemble. Tout Professeur est donc une chimie complexe composée de recherche, pédagogie, expériences. Simplement, à des moments de sa vie, il appuie sur l’un de ces dimensions, forcément au détriment des autres.
- pour ces raisons, il ne faut pas des Professeurs chercheurs et des Professeurs pédagogues. En revanche, il faut gérer le corps professoral à la lumière de ce que je viens de dire. Nos objectifs sont aujourd’hui définis à l’année. Erreur, s’ils ne se combinent pas avec une définition à trois ou cinq ans. C’est au Doyen qu’il revient de gérer le corps professoral en fonction de cette contrainte. C’est à lui d’être offensif dans la prise en compte du déroulement de carrière de chacun et de l’harmonie de l’ensemble.
- il n’y a pas des tâches nobles et des tâches de second ordre. Faire un “bon“ cours, profond, stimulant, intéressant, est dans l’absolu aussi important que de participer à un Colloque.
Je crois que nous allons bientôt nous entendre poser la question: qu’enseignez-vous à vos étudiants ? comment l’enseignez vous ? MERCURE va d’ailleurs dans ce sens.
Ce développement était un peu long, mais il est important pour répondre à votre question et pour comprendre la question du Corps professoral.
A partir de là, il faut veiller à 3 choses:
- à ce que la rémunération -- au sens large, c’est à dire comprenant aussi les moyens de travail: assistants … -- proposée aux Professeurs ne dissuade pas les meilleurs de venir ou de rester;
- à ce que chaque tâche des Professeurs soit également considérée, la seule préoccupation étant qu’elles soient toutes assumées avec la plus grande exigence ;
- la ressource professorale doit être gérée par le Doyen en fonction des aptitudes, des envies, des perspectives de chacun et cela sur du moyen, voire du long terme.
C’est à la lumière de ces quelques règles que l’on doit procéder aux recrutements. Le corps professoral doit être équilibré, donc divers. Il serait dommage que le “Pédagogue” (du moment) parte ou ne vienne pas parce que ce qu’il fait n’est pas reconnu comme il devrait l’être, parce que ses initiatives ne sont pas soutenues. Il serait dommage que le “Chercheur” (du moment) parte ou ne vienne pas parce qu’il n’aura pas les moyens de ses ambitions. Dans tous les cas, le corps Professoral doit être excellent, quelles que soientt la forme et la direction de cette excellence. Alors difficile d’être Professeur à l’ESSEC ? C’est par fois crispant, parfois décourageant, parfois proche du sacerdoce, souvent musclé, souvent stimulant, souvent enrichissant, parfois exaltant … toujours tonique ! Ensuite …… chacun voit, à des moments de sa vie, certains aspects l’emporter sur les autres.

Le problème d’information et de consultation des Professeurs se pose-t-il de façon aussi aiguë que chez les étudiants ? Comment réagissent-ils aux nouvelles initiatives lancées par la Direction générale ? Les étudiants doivent-ils être associés aux projets ?
Voilà encore une bonne question ! L’ESSEC a une tradition “d’individualité” (et non pas d’individualisme) et “d’informel”. Cette tradition a longtemps été sa force. Cela peut aussi conduire, parfois, à un fonctionnement féodal et conservateur qui nuit à l’efficacité et au climat de l’institution.
Certains projets ont été lancés par la Direction Générale sans consultation formalisée du Corps Professoral. C’était à la fois dommage et sans doute peu évitable : effet d’annonce, discrétion nécessaire sur le fond …
Je crois qu’il faut avoir le courage de poser trois idées claires :
- des projets importants pour l’avenir du Groupe ne doivent pas être mis en oeuvre sans débat avec le Corps professoral.
- le corps Professoral regroupe maintenant plus de 70 Professeurs : c’est donc une structure lourde, qui peut s’opposer, amender, accepter mais qui aura du mal à formuler, à proposer des alternatives si elle n’est pas organisée pour le faire. Il est du devoir du Doyen d’animer le Corps professoral et de créer les structures pour permettre à la créativité, aux initiatives (qui ne manquent pas, je vous l’assure !) et aux opinions de chacun de se fédérer et de se transformer en propositions positives. Il doit lui même les porter et les défendre.
- le CAGE, qui réunit depuis 8 mois un petit groupe de professeurs élus et la Direction générale, s’il est en mesure de jouer pleinement son rôle (et rien ne laisse aujourd’hui penser le contraire), peut contribuer à replacer le corps professoral là où il doit être dans le processus de prise de décision. Quant aux étudiants, ils s’expriment déjà au sein du Comité d’enseignement et participent au Conseil de Surveillance. Il est vrai que cette participation ne les associe pas nécessairement à la naissance des projets. Doivent-ils l’être ? Sans doute, mais avec voix consultative et non délibérative, à condition qu’ils soient représentatifs et qu’ils s’engagent, dans certains cas, à la confidentialité. Sans multiplier les structures, on peut imaginer que le CAGE se réunisse, à fin d’information et d’échange, avec des élus étudiants représentatifs du Groupe. Ceci suppose aussi une vraie conscience étudiante de la vie du Groupe : je ne peux que la souhaiter très vivement même si je doute parfois de sa consistance.

 
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